[ Testo originale in italiano QUI ]
Le plus difficile est de restaurer chaque jour ma chair désirante – tendre la main pour caresser l’existant, toucher sans complaisance – et faire en sorte qu’elle devienne une machine de guerre capable d’assiéger l’essentiel sans avilir tes insignes, ni trahir l’entente.
Pour moi, parler de la guerre ne signifie pas parler d’ordres, d’uniformes ou d’affrontements entre clichés armés. Les mots d’ordre, en combattant âprement en moi et hors de moi, sur des niveaux variablement entrecoupés, cèdent la place à une
logique de l’insurrection (ou la préparent). Les uniformes s’apparentent à un ersatz du caractère sous un ciel déjà copieusement éprouvé. Les platitudes ne peuvent plus retenir les lignes de fuite, les inconstantes qui portent à l’évasion, ni clôturer cet exil qui se veut unicité – et ouverture vers l’unicité – même dans la catastrophe.
C’est un beau mot, l’« insurrection », la Empörung de Stirner… En son sein, dans ses résonances liées à l’irruption d’une unicité qui freine toute tentative de construire des lois ou des monades, réside toute une érotique du soulèvement, à savoir un devenir-barricade des corps, un devenir-essaim de leurs caresses, ouvrir une brèche, un monde, avec un déplacement incessant de ces mêmes mouvements pour en éviter la réclusion dans des systèmes ou structures de pouvoir.
Et si l’« insurrection » paraissait un mot encore trop« masculin », trop lié aux conceptions viriles et érectiles, on pourrait toujours l’écarteler dans un fourmillement de
tumescences qui se fait tumulte sans sexe ou avec tous les sexes possibles. Je pourrais même les appeler tumultescences, dans un élan joyeux et arcimboldesque où les idées aussi font l’amour.
Car l’insurrection est joie. Elle est creuset d’ailes, danse de rouges-gorges sur la neige, et toute la puissance du devenir qui explose dans cette danse.
Nos caresses sont des pas dans la neige, des signes qui soupirent après le dégel. L’empreinte est le signe d’une intensité. L’intensité du désir qui traverse le monde. Et qui combat.
Nous abattons ou contournons ainsi les écueils croisés sur notre chemin. Nous nous construisons des ailes pour les survoler. Nous luttons dans le souvenir même de notre passage. Mais la neige revient, telle une toile immaculée, recouvrir toute arrogance et induire chaque fois un nouveau désir de ruissellement.
– Abandonnez la médiocrité. Ne soyez rien. Soyez un rien qui invagine le sommet en éludant les vides. Il faut fourrer ses doigts dans la gorge de la société, lui faire vomir tout le pouvoir figé. On ne pose pas de point d’interrogation devant le corps sans que la question devienne chair. Le corps restera toujours un affront à toute sentence.
L’acte de se soulever. De te soulever. De te prendre par la main. Et me manifester à tes côtés. Contre toi. Pour ne pas me vautrer dans des idées réchauffées. Obstination joyeuse. Pour découvrir des projets, inventer des lieux. Dans un au-delà qui ne sera jamais outrage.
Je te soulage de tes humeurs. Je m’y débats. Je t’aime. Je me bats pour toi. Et je continue de changer l’eau de la pensée que j’ai de toi. Fleurs de salive sur le mur de chair qui sera la mort. Je me débats, je te mets à exécution. Tu t’insurges. Tu te lèves sur ta peau. Comme le soleil qui s’élance vers le jour. Tu t’insurges, tu t’écoules et sévis. Toi, feu liquide, clause immense de ma nouvelle chair. En avance sur la vie, je me débats en toi, je trébuche avec toi. Je crie. D’un cri qui s’empare de toute voix. Toi seule m’entends, toi seule. Je veux plus de destin, encore plus de puissance. Prends-moi par la main. Reste avec moi. La soirée est fraîche. Cherchons nous une brèche. Nous y sommes presque désormais, nous y sommes presque…
Carmine Mangone, Glisser une main entre les jambes du destin, Asinamali éditions, Paris 2015. Traduction de Virginie Ébongué. Photos de Emi Anrankuji.